Les décharges du BTP se répandent en France

| 08.02.12    Source Le Monde.

 A ce rythme, la Seine-et-Marne pourra bientôt disputer au Rwanda son surnom de pays des Mille Collines.

Au fil des années, ce département au relief peu marqué se hérisse de hautes buttes d'une vingtaine de mètres, dont la forme trahit l'oeuvre des hommes. Sous une couche de terre recouverte d'herbe et de jeunes arbres, les archéologues du futur y trouveront un mélange de béton et de ciment, de débris minéraux ou bitumineux, de terres et de gravats. Ce sont, en langage du XXIe siècle, des installations de stockage de déchets inertes (ISDI).

Un déchet inerte est un déchet qui ne subit "aucune modification physique, chimique ou biologique importante" avec le temps, et ne représente donc pas un danger pour l'environnement ou la santé humaine. Pour l'essentiel, il s'agit de déchets du bâtiment et des travaux publics (BTP). En 2008, selon le ministère de l'écologie, la France en a produit 254 millions de tonnes. Huit fois plus que d'ordures ménagères. Moins de la moitié de ce "gisement" serait recyclée, après concassage, généralement comme matériau de remblai ou sous-couche pour travaux routiers. Une directive européenne fixe un objectif de recyclage et de valorisation de 70 % en 2020 pour ces déchets du BTP. Cela passera par une politique encourageant la création de plateformes de tri et de recyclage.

Pour l'heure, il est bien plus intéressant d'exploiter une ISDI. "C'est une activité raisonnablement lucrative", reconnaît Ann Philippe de la Giraudière, avocat d'Enviro Conseil Travaux (ECT), leader du marché en Ile-de-France.

Le principal souci des pouvoirs publics est plutôt de mieux encadrer le stockage de ces déchets. Car de nombreuses affaires ont nourri la suspicion, même si elles ne concernaient pas seulement des déchets inertes. En 2007, une entreprise de Bain-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine) avait ainsi été placée en liquidation après qu'une enquête eut prouvé qu'elle s'était débarrassée en pleine nature d'environ 400 000 m3 de gravats contenant de l'amiante.

En 2011, la montagne de déchets de Limeil-Brévannes (Val-de-Marne) a justifié la venue de Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie. Ce mélange de déchets industriels, abandonnés par une entreprise défaillante, provoquait d'importantes nuisances. Le préfet du Val-de-Marne a assuré, mardi 7 février, que cette "montagne", en cours d'évacuation, aurait disparu d'ici à avril. Lors de sa visite, Mme Kosciusko-Morizet avait annoncé des mesures.

La publication d'un décret prévoyant la mise en place d'un système de garantie financière par l'exploitant, afin d'assurer la remise en état du site, est attendue pour la fin février. Et la ministre a signé, fin décembre 2011, une circulaire demandant aux préfets de renforcer le contrôle des ISDI en 2012.

La situation est explosive. Le ministère de l'écologie reconnaît que, sur les 1 300 décharges accueillant des déchets inertes recensées début 2011 en France, seules 557 disposaient d'une autorisation préfectorale : 239 attendaient une régularisation et les autres étaient illégales. "Nous en avons dénombré 37 illégales rien que dans le Var, et plus du double dans toute la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, affirme Robert Durand, de la Confédération environnement Méditerranée.

Des vallons entiers sont comblés par des déchets du BTP, évidemment sans autorisation. C'est une question de prix : cela coûte deux fois moins cher, entre 2 et 4 euros la tonne, que dans une ISDI autorisée." Même si la loi impose au producteur ou au détenteur de déchets d'en assurer l'élimination dans des conditions n'engendrant pas de nuisances pour la santé et l'environnement, la tentation est grande de s'en débarrasser, ni vu ni connu, au bord d'un chemin de campagne. En y glissant parfois, au passage, une plaque amiantée ou quelques déchets toxiques, coûteux à traiter.

D'autant que les exploitants d'ISDI ne sont tenus d'effectuer que des contrôles visuels sur le contenu des camions venant décharger leurs cargaisons chez eux. "Il y a aussi un problème de distance : il n'est pas raisonnable de demander aux gens de faire plus d'une demi-heure de route pour se débarrasser de leurs déchets, sans parler des émissions de CO2 que cela provoque", estime Jacques Rabotin, président du Syndicat des recycleurs du BTP, qui déplore la multiplication des dépôts sauvages dans l'Aude, où est située son entreprise. D'où, ajoute-t-il, "l'importance d'un bon maillage du territoire".

Mais la pression foncière à proximité des zones urbaines, où se trouve le "gisement" de déchets, rend de plus en plus difficile la création de nouvelles installations.

"On n'arrivera pas à s'en sortir sans de véritables choix politiques, estime Jean-Christophe Louvet, président de la Fédération des travaux publics des Pays-de-Loire. Or, la question des déchets du BTP a été laissée à l'abandon." La loi Grenelle 2 fait pourtant obligation aux départements de se doter d'un plan de gestion et de prévention des déchets du BTP. Mais la préparation de ces plans suscite "la fébrilité des opérateurs, qui se précipitent aujourd'hui pour ne pas avoir à trouver de nouvelles solutions ensuite", constate Hélène Gassin, vice-présidente (Europe Ecologie-Les Verts) du conseil régional d'Ile-de-France.

En Seine-et-Marne, où une douzaine d'ISDI sont en activité, sept demandes de création ou d'extension de sites existants ont été déposées en 2011.

De quoi désespérer Mireille Lopez, présidente de l'Association de défense de l'environnement de Claye-Souilly et ses alentours (Adenca), qui se désole de "voir détruit notre paysage" et s'inquiète de la présence de terres polluées au milieu des déchets inertes. En 2006, le département avait produit 2 millions de tonnes de déchets du BTP, mais en avait enfoui cinq fois plus, en provenance du reste de l'Ile-de-France.

Gilles van Kote Article paru dans l'édition du 09.02.12